La raison humaine est incapable d’arriver à l’affirmation d’un seul Dieu en trois Personnes.

Publié le par Abbé Martin OUEDRAOGO

La raison humaine est incapable d’arriver à l’affirmation d’un seul Dieu en trois Personnes.

 

Homélie : Solennité de la Très Sainte Trinité

(Dt 4, 32-34.39-40 ; Ps 32 (33), 4-5, 6.9, 18-19, 2022 ; Rm 8, 14-17 ; Mt 28, 16-20)

Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit. Amen !

Chers frères et sœurs, il est peut-être devenu quelque chose de banal ce signe de la croix par lequel nous nous introduisons quotidiennement dans la prière. Parfois, pour ne pas dire très souvent, il nous arrive de faire ce signe de la croix sans nous en rendre compte, tout simplement parce que l’habitude a fini par tuer en nous l’attention que nous devrions accorder à un tel geste qui est caractéristique du chrétien. Le signe de la croix dit quelque chose sur nous-mêmes mais plus particulièrement sur notre Dieu et cela est important pour nous aujourd’hui qui avons à vivre dans un monde plein de divinités. Oui, notre monde est plein de dieux et nous comprenons que dans un monde de ce genre, il est indispensable que nous puissions donner un visage à notre Dieu, que nous puissions le reconnaitre et l’identifier afin de pouvoir lui rendre un vrai culte.

De fait, comment croire en un Dieu ou adorer un Dieu dont nous avons de la difficulté à discerner les contours ? Parfois, nous entendons certains dire que c’est le même Dieu partout. Cela est vrai sans être vrai. C’est vrai dans ce sens qu’au-delà de nos différences de conceptions sur Dieu, c’est le même Dieu qui régit l’univers du ciel et de la terre. Cependant, par rapport à nos croyances, nous ne saurons accepter l’idée selon laquelle c’est le même Dieu qui est cru et confessé partout. Le Dieu des chrétiens n’est pas le Dieu des philosophes par exemple.

D’une façon générale, ces derniers conçoivent Dieu comme une monade, c’est-à-dire, une substance simple, indivisible, indestructible, imperméable. Pour certains comme Descartes, Dieu demeure une réalité lointaine, inaccessible aux humains. Car, une fois qu’il a créé la matière et fixé les lois du mouvement, il a cessé d’intervenir dans la création, sinon pour lui conserver l’existence. C’est pourquoi, la seule recherche du savant doit porter sur les lois du mouvement. Inutile pour lui de se préoccuper de Dieu. Il n’a pas besoin de remonter jusqu’à lui. Et inversement, les considérations théologiques n’ont rien à lui apprendre, parce que les desseins de Dieu sont impénétrables. La conclusion : un tel Dieu est inutile aux hommes, parce que distant et inconnaissable.

Par contre, « Le Dieu des chrétiens [n’est pas] un Dieu simplement auteur des vérités géométriques et de l’ordre des éléments, [comme nous le remarquons chez les païens et les épicuriens]. Il [n’est pas non plus] un Dieu qui exerce sa providence sur la vie et sur les biens des hommes, pour donner une heureuse suite d’années à ceux qui l’adorent. […] Le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob, le Dieu des chrétiens, est un Dieu d’amour et de consolation ; c’est un Dieu qui remplit l’âme et le cœur de ceux qu’il possède ; c’est un Dieu qui leur fait sentir intérieurement leur misère, et sa miséricorde infinie ; qui s’unit au fond de leur âme ; qui la remplit d’humilité, de joie, de confiance, d’amour ; qui les rend incapables d’autre fin que de lui‑même ». N’est-ce pas chers frères et sœurs, ce que veut nous faire comprendre Moïse dans la première lecture lorsqu’il parle au peuple d’Israël en ces termes ? « Est-il un peuple qui ait entendu comme toi la voix de Dieu parlant du milieu du feu, et qui soit resté en vie ? Est-il un dieu qui ait entrepris de se choisir une nation, de venir la prendre au milieu d’une autre, à travers des épreuves, des signes et des combats, à main forte et à bras étendu et par des exploits terrifiants – comme tu as vu le Seigneur ton Dieu le faire pour toi en Egypte ?

Chers frères et sœurs, c’est ça le Dieu de la Bible, c’est ça le Dieu des chrétiens, celui que nous adorons tous, et qui nous rassemble ici ce matin. Et à la question de savoir pourquoi un tel Dieu s’intéresse tant aux hommes au point de devenir l’un d’eux, nous trouvons la réponse dans le mystère que nous célébrons aujourd’hui, à savoir le mystère de la Très Sainte Trinité : un seul Dieu en trois Personnes.

Le cardinal Kasper, dans son livre Jésus le Christ, souligne que c’est la distinction intradivine entre le Père et le Fils qui rend possible l’autoaliénation de Dieu dans l’incarnation, jusqu’à la Croix. Autrement dit, l’incarnation serait chose impossible si en Dieu il n’y avait qu’une seule Personne. Ainsi, on peut dire qu’à cause de la pluralité des Personnes divines, il y avait de toute éternité en Dieu un espace pour l’homme, et après la chute un espace pour une réelle « sympathie » avec la souffrance des hommes.

Oui, chers amis, nous l’avons compris, si le Dieu des chrétiens est capables de se donner et de se communiquer aux hommes, c’est parce qu’il n’est pas une entité solitaire, une solitude infinie mais une réalité vivante, dynamique, relationnelle, une compagnie infinie. Si notre Dieu se donne à connaitre, c’est parce qu’il est par nature ouverture et non fermeture comme la monade des philosophes. Notre Dieu est une famille, une famille composée du Père, et du Fils et de l’Esprit Saint. Mais notons-le tout de suite, cette distinction des Personnes en Dieu n’est pas le fruit d’une invention de l’homme, car laissée à elle-même, la raison humaine est incapable d’arriver à l’affirmation d’un seul Dieu en trois Personnes. Le mystère de la Très Sainte Trinité est une vérité de foi qui nous vient de la révélation, surtout de la révélation néotestamentaire, c’est-à-dire du Nouveau Testament.

De fait, c’est par le Christ, que nous savons réellement que notre Dieu est Un et Trine : « Mon Père et moi, nous sommes un », lisons-nous dans les évangiles. Et aujourd’hui, c’est Jésus lui-même qui commande à ses disciples de baptiser au nom du Père, et du Fils et du Saint Esprit. Maintenant chers amis, pour comprendre cette unité et cette pluralité en Dieu, il nous faut simplement nous départir de cet esprit cartésien qui nous caractérise bien souvent, pour nous situer dans une tout autre logique qui est celle de la communion.

En effet, le Dieu en qui nous croyons n’est pas une juxtaposition ou une somme de personnes, non ! Il est une communion de personnes parce que chacune des trois Personnes divines se donne entièrement aux autres et ne vit que pour les autres dans une relation d’amour total et débordant. Autrement dit, le Dieu Un et Trine est amour, parce qu’il est cette circulation d’Amour, cette donation de soi si totale que chaque Personne demeure en l’autre. C’est cette vérité de foi que le concile de Florence a voulu exprimer lorsqu’il dit : « Ces trois personnes sont un seul Dieu et non trois dieux, car des trois, une seule est la substance, une l’essence, une la nature, une la divinité, une l’immensité, une l’éternité. Pour cette unité, le Père est tout dans le Fils, tout dans l’Esprit Saint ; le Fils est tout dans le Père, tout dans l’Esprit Saint ; l’Esprit Saint est tout dans le Père, tout dans le Fils ».

Comme nous pouvons le constater, cette affirmation du concile n’est qu’un commentaire de ce que Jésus a dit dans l’évangile, à savoir : « Je suis dans le Père et le Père est en moi » ; « Qui m’a vu a vu le Père ». À travers ces paroles de Jésus nous comprenons que pour traduire mathématiquement cette réalité de la Trinité, il nous faut surtout éviter de faire cette opération : 1+1+1 = 3, opération qui laisse croire que chacune des Personnes divines est étrangère aux deux autres. L’opération qui convient pour la Trinité, et qui trouve sa justification dans les affirmations de Jésus, c’est celle de la multiplication : 1x1x1 = 1. Ici, la distinction des Personnes est maintenue et l’unité, dans l’unique essence ou nature divine est affirmée.

Chers frères et sœurs, en fêtant aujourd’hui la solennité de la Très Sainte Trinité, nous sommes invités à nous laisser illuminer par ce mystère central de notre foi, afin de pouvoir donner réellement à notre vie une dimension trinitaire. Et les textes liturgiques de ce dimanche nous en donnent la possibilité.

En effet, l’évangile que nous avons écouté tout à l’heure nous montre la Trinité présente et agissante dans le baptême. « Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ». Recevoir le Baptême au nom de la Trinité signifie recevoir le don profond d’une identité nouvelle, car à chaque baptême, c’est la Trinité qui entre dans l’histoire de celui qui reçoit le sacrement, non pas comme une idée abstraite mais comme un parcours de vie concret.

Saint Paul dans la deuxième lecture nous parle de cette identité nouvelle : avec le baptême, le chrétien a reçu un Esprit qui fait de lui un fils adoptif, ce qui lui permet d’appeler Dieu « Abba ! », c’est-à-dire Père ! Concrètement, cela veut dire que baptisés au nom de la Trinité, nous avons tous été introduits dans le mystère de Dieu pour profiter pleinement de sa vie en devenant ses héritiers, les cohéritiers du Christ. Mais attention ! Pour être vraiment héritiers, la condition, c’est de souffrir avec le Christ, c’est-à-dire accepter de porter la croix à sa suite, afin que triomphe dans le monde la culture de l’amour, de cet amour qui est caractéristique même de Dieu, qui est caractéristique du chrétien.

Dans notre société d’aujourd’hui, il est évident que la lumière de la Sainte Trinité confirme bien ce que tous les psychologues savent et confessent, à savoir que l'homme est essentiellement un être-de-relation qui a besoin d'aimer, d'être aimé et d'échanger pour devenir lui-même. Oui, créés à « l'image » d'un Dieu relationnel, l'homme ne peut vivre, grandir, « être un homme » que par et dans la relation. Ne voit-on pas en effet que les pauvres de nos sociétés modernes sont surtout ceux qui n'ont pas de relations et qui n'existent pour personne ?

Le chrétien, en vertu de son baptême, est appelé au dialogue, à la communion, à la relation avec les autres. Car seul l’amour crée, seul l’amour rend heureux, et c’est cela le signe que nous sommes l’image de la Trinité. En effet, comment pouvons-nous être heureux si nous sommes divisés entre nous, s’il y a de la haine et de la rancune entre nous. Les autres ne sont pas l’enfer comme disait un philosophe, le véritable enfer, c’est la solitude. Et aujourd’hui, chers frères et sœurs, c’est contre cette solitude que le Seigneur nous envoie dans le monde. Il nous envoie baptiser toutes les nations au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit. Ici, le verbe « baptiser » doit être compris non pas comme une simple invitation rituelle, mais dans sa signification principale, qui est de "plonger". Le baptême signifie "immersion", et le but de la mission des disciples est que le monde entier soit "immergé" en Dieu Père, Fils, Esprit Saint, tout comme Dieu lui-même s’est "immergé" dans le monde avec Jésus son Fils au travers de l’incarnation.

Chers amis, il faut le reconnaitre, la mission est noble mais très exigeante car nous ne pouvons pas donner ou proposer au monde ce que nous n’avons pas ou ce que nous ne vivons pas en nous-mêmes, en famille ou dans la société. Oui, pour que l’amour de Dieu emplisse l’univers, pour que chaque homme soit plongé dans l’océan de l’amour divin, il faut que les missionnaires de l’évangile soient dans le monde un reflet de l’amour trinitaire qui se veut don, accueil, échange.

Seigneur, fais-nous la grâce de ton amour afin que nous pussions travailler à faire de tous les hommes des frères de Jésus Christ unis dans l’amour. Ainsi soit-il.                                                                                                       Ab. Antoine KYÉLEM

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