Allons au désert

Publié le par DABIRE Léon Théo. I

GRAND SÉMINAIRE ST JEAN-BAPTISTE DE WAYALGHIN

Homélie du Dimanche 26 février 2023 : 1er Dimanche de Carême, Année A.

Textes : Gn 2, 7-9 ; 3, 1-7a ; Ps 50 ; Rm 5, 12-19 ; Mt 4, 1-11

Chers frères et sœurs en Christ bonjour. Depuis le mercredi des cendres nous sommes entrés dans un nouveau temps liturgique privilégié : « C’est le cycle pascal » qui comprend le temps de Carême et le temps de Pâques. Voici donc une occasion belle de ferveur nouvelle dans notre marche quotidienne. Bon temps de carême et bonne montée vers Pâques.

Chers frères et sœurs, le Carême a commencé. Certains pensent déjà à ce qu’ils vont faire : supprimer leur petit déjeuné du vendredi, se priver de leurs Babemda du midi. Des questions aussi sont profuses et diffuses : peut-on manger la viande après le chemin de croix du vendredi ? Peut-on prendre son vin après minuit du vendredi ? Peut-on continuer le jeûne si on boit l’eau par oubli ? À quelle heure faut-il rompre le jeûne ? Pour d’autres c’est la routine, notre vie est déjà assez un jeûne (une difficile ascèse) qu’il ne faut pas en ajouter. Eh bien ! D’un côté ou de l’autre, on tombe dans ce que Jésus dénonce : s’arrêter simplement au superflu. Alors que le Carême nous amène à quelque chose d’essentiel : entrer dans la logique de la renaissance, la métanoia, c’est-à-dire, se convertir pour être sauvé. C’est un virage à 180 degrés, une remise en question de notre médiocrité, c’est nous tourner vers Dieu, vers l’essentiel de notre vie, nous détourner de nos idoles c’est-à-dire des futilités qui pourtant occupent tous nos soucis. Vous comprenez bien que beurre et confiture ou Babemda n’ont d’abord rien à voir avec cela. Ou du moins, les supprimer ne suffit pas ! Carême n’est pas d’abord une question de « faire » mais une question de se comporter et d’être ; parvenir à être évangile, c’est-à-dire Bonne Nouvelle ; ne pas être une menace pour son prochain mais être un instrument de paix et de salut. Se convertir c’est prendre le péché au sérieux parce qu’on a d’abord pris Dieu au sérieux. Se convertir, c’est s’ouvrir à l’Esprit Saint qui nous conduit prudemment. Il s’agit alors d’un combat ; et les textes liturgiques nous donnent en exemple le grand combat du Christ, invitation pressante à entrer dans notre propre combat du Carême. Ils soulignent le lien entre ce combat et le désert, entre ce combat et le baptême puis ils délimitent et balisent le terrain de combat.

L’Évangile du jour nous dit que : « Jésus après son baptême, fut conduit au désert par l’Esprit pour être tenté par le démon. » Nous pouvons remarquer que le terrain du combat c’est le désert. L’objet du combat c’est la tentation du démon. L’organisateur du combat c’est l’Esprit Saint. Et le sujet vainqueur du combat c’est Jésus baptisé.

Nous sommes en bon droit de penser qu’historiquement, Jésus a voulu faire une sorte de retraite avant de commencer son ministère. Le désert devient alors un indicateur pour tout chrétien, surtout pour qui veut exercer un ministère. Il faut donc y aller.

Dans la Bible, le désert est un lieu aride et désolé, un lieu de prédilection des démons et de ceux qu’ils asservissent. Mais Il est aussi le lieu de la purification, de la conversion, de la réconciliation, de l’intimité avec Dieu : « Mon épouse infidèle, dit Dieu, dans le livre d’Osée chap. 2, je vais la séduire, je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur, là elle répondra comme aux jours de sa jeunesse ». En effet, le désert est un lieu de solitude où l’homme se trouve rigoureusement face à lui-même. Mais aussi celui du silence où Dieu parle au cœur de l’homme. C’est donc le lieu du combat pour s’élever vers Dieu. Il est alors un impératif pour tout baptisé.

 L’Évangile souligne aussi que c’est après le baptême de Jésus qu’il fut conduit dans ce désert par l’Esprit Saint. Jésus venait d’être baptisé par Jean. Il part au désert encore tout ébloui par le souvenir de cet instant merveilleux où son Père lui a dit avec une infinie tendresse : « Celui-ci est mon Fils bien aimé. » Et c’est là qu’il fut tenté. En cela, nous sommes nous aussi avertis que notre baptême ne nous dispensera pas d’être soumis aux épreuves de la tentation. Oui, l’expression "Si tu es Fils de Dieu…", répétée par le Tentateur, manifeste que c'est bien le fait d’être Fils de Dieu qui est le problème. Or le baptême nous confère cet état de Fils de Dieu. C’est donc dire que comme Jésus nous avons à affronter le Tentateur, pas seulement trois fois, mais tout au long de la vie terrestre ; et cela heureusement pour notre pèlerinage car la tentation comme épreuves est quelque chose de positif : ne faut-il pas qu’un Amour ait été « éprouvé » pour savoir s’il est vraiment solide et vrai ? C’est pourquoi Jésus fut conduit dans ce désert par l’Esprit de Dieu, de la même manière que le peuple d’Israël, jadis, au désert de l’Exode. Le jour de son baptême, il a reçu l’Esprit Saint, et c’est ce même Esprit qui le pousse maintenant vers le désert à la rencontre de l’adversaire de Dieu. Car l’homme trompé au Jardin a sa revanche à prendre sur Satan.

C’est l’Esprit Saint qui conduit alors au désert. " Le Christ a été poussé par l’Esprit ". C’est donc en réponse à l’Esprit de Dieu que volontairement le Christ a embrassé cette vie de solitude spirituelle. (Excusé moi mais) Ne pas aller au combat dans le désert durant ce temps de Carême semble révéler qu’on est fermé à l’Esprit Saint. Alors, allons au désert !

Oui nous pouvons aller au désert. Chers frères et sœurs, même immergés dans la ville avec tout ce qu’elle renferme comme bruits et effets sonores violents, même dans ce monde où le bruit des moteurs se mêle aux hurlements des radios et des télévisions, et où  nous sommes de plus en plus domptés par les réseaux sociaux,  nous pouvons toujours créer en nous le désert. Nous pouvons cultiver le silence intérieur et le dialogue intime avec le Seigneur durant nos prières et méditations. Et si chacun se donnait un temps de désert réel, au moins une fois en ce temps de Carême (quelques jours de retraite par exemple) ? Et si chacun prenait la résolution de créer une nouvelle habitude : l’habitude du silence intérieur quelques minutes par jour ? Et si on faisait un peu d’effort pour se parler un peu plus en famille sans que cela ne nous arrache la langue ; ou faire davantage en laissant traverser les phrases de pardon qui empêchent les vieux contentieux de perdurer. C’est seulement ainsi que nous apprendrons à résister à la tentation comme Jésus qui a su résister toute sa vie.

Le récit de l’Évangile nous donne trois tentations du Christ : Jésus est tenté au niveau de la nourriture, c'est-à-dire des besoins basiques. Ensuite, il est tenté au niveau du pouvoir. Enfin, il est tenté au niveau de la foi.  Il lui est demandé de résoudre les problèmes des hommes à coup de miracles, comme changer les pierres en pain. De provoquer Dieu pour vérifier ses promesses, en se jetant du haut du temple par exemple, car le psaume 91 promettait que Dieu secourrait son Messie ; et enfin de posséder le monde, dominer, régner, à n'importe quel prix, quitte à adorer n'importe quelle idole. Quitte même à n'être plus Fils de Dieu ? Car nous remarquons que, la troisième fois, le Tentateur ne répète plus "Si tu es Fils de Dieu". C’est ce qui est proposé aux fils de Dieu chaque jour.

             La première tentation s’interprète comme l’éternel conflit entre la chair et l’esprit. C’est aujourd’hui la tentation de chercher son plaisir fût-ce au détriment des autres, de savourer les voluptés terrestres de la vie dans une société aphrodisiaque. Nos sens ont faim, et nous cherchons à les assouvir avec les nourritures terrestres sans morale ni loi. Ce qui ne construit pas forcement l’homme. Le matérialisme pratique de notre société de consommation risque de rabaisser l’homme à son niveau le plus élémentaire. En outre la première tentation est contraire à l’Espérance : face à la persistance du mal que nous subissons, du mal qui atteint les innocents, la faim injuste d’une partie de l’humanité, le ravage des maladies épidémiques. Voilà la première objection contre Dieu : on est tenté d’accuser Dieu, ou de lui demander de résoudre directement nos problèmes.

La deuxième est la tentation de marchander avec Dieu, de l’acheter pour qu’il fasse notre volonté. C’est aussi la tentation d’une interprétation incorrecte de la Bible, celle de la falsification de la Parole de Dieu afin de faire ce que l’on veut.

La troisième est celle du pouvoir : le pouvoir aussi bien sur son conjoint, ses enfants, ses condisciples, sur ses collègues mais aussi celle du pouvoir politique et militaire, de domination du monde, de la gloire. C’est aussi celle du gain facile : par une simple génuflexion Jésus aurait pu faire l’économie de la souffrance affreuse du calvaire et avoir tout le royaume avec le démon. Le revers c’est la tentation du « vide » : l’impression de se jeter dans le vide quand on croit en Dieu. On voudrait que Dieu soit plus évident, nous aimerions éprouver sa présence dans nos prières. Nous voudrions que Dieu soit plus intéressant en répondant à nos normes. Nous voudrions mettre la main sur lui pour qu’il soit à notre service.

Nous sommes avertis. La stratégie du démon reste la même. Il est patient ; il ne s’en prend à Jésus qu’à la fin de ses quarante jours de jeûne ; il attend qu’il ait bien faim, que son corps épuisé réclame son dû. Autrement dit, dans ses moments de faiblesse. C’est en ce moment qu’il s’approche. Il invite à obtenir de grandes choses dans la facilité. Dans les trois cas, le démon invite Jésus à fuir une réalité difficile pour obtenir en douceur des avantages confortables : un bon pain de petit déjeuné pour quelqu’un qui meurt de faim, le sacre pour une royauté obtenue par une simple génuflexion, un petit miracle spectaculaire par un défi lancé à Dieu.

Ces tentations sont encore actuelles : tentation du jeune de vendre le tabac qui lui permet de gagner en un jour ce que son père gagne péniblement en un mois. Tentation pour le chrétien de prier pour obtenir un petit miracle, un signe qui met Dieu en demeure de s’exécuter ou de se révéler impuissant. Tentation pour la femme de démissionner de l’éducation d’un enfant difficile. Tentation pour un mari de quitter le domicile conjugal en affirmant bien haut que ses enfants gagneront d’acquérir une deuxième mère. C’est la nature du combat, et nous devons nous réveiller tôt.

On raconte volontiers l’histoire d’un étudiant en classe d’examen qui chaque matin livrait un combat acharné à sa paresse profonde pour se lever. C’était chaque jour une lutte titanesque entre la grâce et sa paresse, et vers midi, heureusement la grâce finissait toujours par l’emporter. Chers frères et sœurs, j‘ai bien peur qu’en ce Carême qui a commencé, nous soyons un peu comme cet étudiant. À la fois persuadé que le temps de Carême est un temps de grâces exceptionnelles pour nous aider à la lutte contre nos défauts et à la fois plus ou moins décidé à le vivre réellement. N’allons-nous pas au cours de ce temps remettre à la semaine suivante un réel effort pour entrer dans l’esprit du Carême ? Eh bien non ! C’est maintenant le temps de la résistance au démon et de la conversion. Que les grâces de cette Eucharistie nous aident à rester fermes dans notre marche à la suite du Christ. Amen

DAGANA Mibamyélé

 

 

 

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