Qui donc est ce Dieu dont les manières échappent à la logique humaine et la contrarient ?

Publié le par Abbé Jacques R. SAWADOGO

Abbé Antoine KYÉLEM

Abbé Antoine KYÉLEM

                        Homélie : Baptême du Seigneur
           (Is 55, 1-11 ; Is 12, 2, 4bcd, 5-6 ; 1Jn 5, 1-9 ; Mc 1, 7-11)

Chers frères et sœurs, dans la liturgie de l’Église, il est permis de faire des sauts spirituels, non temporels, qui nous rapportent au mystère du Christ. Il y a une semaine en effet, nous célébrions la solennité de l’Épiphanie du Seigneur marquée par la visite des rois mages. Aujourd’hui, on peut dire que 30 ans sont passés de cette visite des mages d’Orient, que le petit Jésus a grandi, et qu’il est devenu un homme.
Après 30 ans de vie cachée dans une ville périphérique et semi-païenne de la Galilée, appelée Nazareth, l’enfant de Bethléem devenu adulte descend au Jourdain pour nous révéler le véritable sens de son incarnation et nous donner de l’assurance par rapport à ses origines et à son identité. Et c’est ainsi que nous pouvons voir en cette fête du baptême du Seigneur que nous célébrons aujourd’hui et qui marque la fin du temps de Noël, une sorte de récapitulation des mystères que nous avons contemplés ces derniers temps.
Le baptême de Jésus, un acte explicatif de son incarnation.
À Noël, nous avons célébré le mystère du Dieu fait homme, de ce Dieu qui a voulu prendre tout de notre condition humaine, excepté le péché. En descendant dans notre humanité, c’est-à-dire dans notre pauvreté, le fils de Marie et de Joseph nous a rendus participants de la nature divine. Il s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu, nous dit saint Irénée.
Aujourd’hui, en descendant dans les eaux du Jourdain, c’est cette même vérité qu’il nous donne à saisir et à vivre par la contemplation du visage d’un Dieu dont la puissance se déploie dans la faiblesse, dont la grandeur se manifeste dans l’humiliation, dans l’abaissement et dans l’anéantissement total de soi.
Comme à son incarnation, Jésus choisit ici une voie scandaleuse, la voie de l’abaissement, voie à laquelle il restera fidèle toute sa vie et qui le portera sur la croix. Lui qui est sans péché se met en rang avec les pécheurs, attendant son tour pour être baptisé. Au calvaire, nous nous rappelons également, il sera crucifié entre deux bandits. Qui donc est ce Dieu dont les manières échappent à la logique humaine et la contrarient ? Ce Dieu, il faut le dire, n’est pas autre que celui qui nous parle dans première lecture en ces termes : « Mes pensées ne sont pas vos pensées, et mes chemins ne sont pas vos chemins, déclare le Seigneur. Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus des vôtres, mes pensées, au-dessus de vos pensées ».
Pour les premiers chrétiens, il n’y a pas de doute, la descente de Jésus dans les eaux du Jourdain constituait un épisode embarrassant. Pourquoi vouloir recevoir un baptême de conversion alors qu’il est lui-même sans péché ? Cette question, les premiers chrétiens se la posaient, et on se la pose encore aujourd’hui. Pour lui trouver une réponse, il nous faut d’abord comprendre toute la problématique autour de la personne de Jésus considérée comme le divin porteur du péché.
En effet, suivant l’extraordinaire et étonnant plan du salut mis en oeuvre pour nous, il faudrait que le Christ touche au péché, plus exactement qu’il porte cette affreuse maladie qu’est le péché en son propre corps, afin que morts à nos péchés, nous vivions pour la justice. Oui, chers amis, il est une vérité de notre foi que le Christ, en devenant l’un de nous dans son incarnation a consenti dans son humanité à s’identifier d’une manière
incroyable au péché, à devenir malédiction pour nous. Aussi, la justice de Dieu, voyant en lui notre iniquité, nos péchés et notre rébellion, l’a condamné. Oui, la loi de Dieu est si sainte, si parfaite, que Dieu ne l’a pas changée, même pour épargner son propre Fils, objet de toute son affection. Christ, coupable, non de ses péchés, puisqu’il n’en a pas, mais de nos péchés qu’il porte, a dû subir la condamnation de la loi envers le pécheur. « Le châtiment qui nous donne la paix est tombé sur lui », nous dit le prophète Isaïe. « Christ est devenu malédiction pour nous. Car il est écrit : maudis est quiconque est pendu au bois », lisons-nous dans la lettre aux Galates.
Ainsi, nous comprenons qu’en se présentant au Jourdain pour recevoir le baptême de Jean, Jésus se range volontairement et humblement parmi les pécheurs. Et c’est en cela qu’il nous révèle sa véritable identité. Jean le désigne comme l’Agneau de Dieu qui prend sur lui le péché du monde. Comme tel, nous comprenons que notre Dieu n’est pas un Dieu qui a peur de se salir les mains, il n’est pas ce Dieu qui a peur de corrompre sa sainteté en descendant jusqu’à l’homme dans ce qu’il a de plus vil. Notre Dieu est celui qui trouve sa gloire dans l’abaissement et dans l’humiliation. De fait, c’est au moment même où Jésus s’identifie visiblement aux péchés des hommes que le Père le révèle comme son Fils.
Le baptême au Jourdain, une manifestation de Jésus comme Fils bien aimé du Père.
Une autre raison pour laquelle Jésus se soumet au rite de purification du Baptiste nous est donnée également à la fin de l’évangile de ce jour : « Au moment où il sortait de l’eau, dit l’évangéliste Marc, Jésus vit le ciel se déchirer et l’Esprit descendre sur lui comme une colombe. Du ciel une voix se fit entendre : ‘C’est toi mon Fils bien-aimé ; en toi j’ai mis tout mon amour’ ».
Comme nous venons de l’entendre, au Jourdain, Jésus a été institué Fils de Dieu. Même si cette institution était déjà effective à l’incarnation, ici, l’idée de l’élection divine est renforcée par l’Esprit Saint que le Père envoie. Dès lors, tous devront l’écouter comme l’Oint, c’est-à-dire le Christ, du Père. Il est le Messie annoncé par les prophètes, attendu depuis des siècles. Oui, le Christ présent au Jourdain n’est pas seulement un homme, il est proclamé Fils de Dieu. Et à Dieu, qui parle en se déclarant comme Père et comme Fils présent en forme humaine, s’unit l’Esprit Saint : c’est l’Épiphanie de la Trinité, l’inattendue révélation de l’intime nature divine. Et c’est aussi la révélation que, à l’intimité divine, Jésus associe l’homme au moyen du baptême dans l’Esprit Saint.
« Voici venir derrière moi celui qui est plus puissant que moi […] Moi, je vous ai baptisés dans l’eau ; lui vous baptisera dans l’Esprit Saint ». Chers frères et soeurs, c’est ce baptême dans l’Esprit Saint qui fait de nous des fils dans le Fils, c’est-à-dire des fils adoptifs et qui nous permet d’appeler Dieu, Abba, c’est-à-dire Père. Dans la deuxième lecture, saint Jean nous donne les conditions pour mériter ce titre de fils adoptifs. Il écrit : « Tout homme qui croit que Jésus est le Christ, celui-là est vraiment né de Dieu […] Nous reconnaissons que nous aimons les enfants de Dieu lorsque nous aimons Dieu et que nous accomplissons ses commandements ».
De ces affirmations, il ressort que l’efficacité du baptême chrétien, c’est-à-dire le baptême que chacun de nous a reçu dépend premièrement de la reconnaissance de Jésus comme Messie de Dieu. Et cette reconnaissance n’est rien d’autre qu’une confession de foi s’appuyant sur le témoignage même de Dieu. « Nous acceptons bien le témoignage des hommes ; or, le témoignage de Dieu, c’est celui qu’il rend à son Fils », et que nous avons entendu dans l’évangile. Ensuite, il ressort que l’efficacité du baptême chrétien, dépend de l’observance des commandements de Dieu, observance qui ne peut être
effective sans une véritable conversion du coeur. D’où cette exhortation du prophète Isaïe dans la première lecture : « Chercher le Seigneur tant qu’il se laisse trouver. Invoquez-le tant qu’il est proche. Que le méchant abandonne son chemin, et l’homme pervers, ses pensées ! Qu’il revienne vers le Seigneur, qui aura pitié de lui, vers notre Dieu, qui est riche en pardon ».
Oui, chers frères et soeurs, pour que notre conversion soit sincère, il faut que chacun de nous accepte sa propre situation de fragilité et de pauvreté. Les années d’exil à Babylone ont été un signe historique qui marqua la vie du peuple d’Israël et de Juda. Pendant ces années, beaucoup d’Israélites, pour de multiples raisons surtout économiques, se sont éloignés du Dieu de leurs pères, ce Dieu qui les avait libérés de l’esclavage d’Égypte. À la fin de l’exil, c’est seulement les plus pauvres et les plus fidèles à la tradition de leurs pères qui éprouvèrent le besoin de retourner à Jérusalem. Et ce retour était l’expression de leur désir fondamental de vouloir recommencer, après les échecs et les deuils des années d’exil, avec un coeur fortifié dans la foi en Dieu.
Aujourd’hui, la pandémie de la Covid-19 et le terrorisme constituent également des faits historiques. Dans ces événements, certains n’ont pas eu besoin de changer quelque chose de leur style de vie antérieur, ils se sont même enrichis. D’autres par contre sont en train de sortir de ces maux appauvris, diminués. Aussi, l’appel à la conversion du prophète Isaïe et surtout de Jean le Baptiste nous dit que le ressort du changement de direction que nous pouvons donner à notre vie dépend de celui qui peut orienter notre existence quotidienne en lui donnant un sens. Et cette personne, c’est bien Jésus qui sait se faire pauvre parmi les pauvres, petit parmi les petits.
Chers amis, aujourd’hui, chacun de nous est invité à s’identifier à ce petit reste d’Israël, à ce petit reste du Burkina, en reconnaissant sa fragilité et sa pauvreté. Car, c’est dans la reconnaissance de notre condition de vulnérabilité que nous pourrons faire l’expérience, jour après jour, de la fécondité de l’action de la Parole de Dieu dans notre vie, cette Parole dont il est dit dans la première lecture : « Comme la pluie et la neige descendent des cieux n’y retournent pas sans avoir abreuvé la terre, sans l’avoir fécondée et l’avoir fait germer, pour donner la semence au semeur et le pain à celui qui mange ; ainsi ma parole, qui sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce que je veux, sans avoir accompli sa mission ».
Alors, chers frères et sœurs, en cette eucharistie, prions pour qu’en arrosant la terre aride et sèche de notre fragilité par l’eau vive de la Parole de Dieu, qu’est le Christ Jésus lui-même, nous fassions l’expérience de la gratuité des dons de Dieu, et arrivions à aimer Dieu d’un amour vraiment filial. Oui, « pourquoi dépenser votre argent pour ce qui ne nourrit pas, demande le Seigneur ; pourquoi vous fatiguer pour ce qui ne rassasie pas ? Écoutez-moi bien et vous mangerez de bonnes choses, vous vous régalerez de viandes savoureuses ! Prêtez l’oreille ! Venez à moi ! Écoutez, et vous vivrez ». Ainsi soit-il !
                                                                                       Ab. Antoine KYÉLEM

Professeur de dogmatique

Publié dans Homélies dominicales

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