Célébrer la Fête-Dieu, la fête du corps et du sang de Jésus, c’est s’ouvrir à la préservation de la vie.

Publié le par Abbé Martin OUEDRAOGO

 Célébrer la Fête-Dieu, la fête du corps et du sang de Jésus, c’est s’ouvrir à la préservation de la vie.

Saint sacrement, Saint Jean Baptiste, 2021

 

Le boire et le manger…

Chers amis de Dieu,

La convocation de ces deux concepts aux assises rationnelles éveille en nous des horizons les plus contrastants : des plus nécessaires aux plus inutiles, des plus essentiels aux plus superflus, des plus nobles aux plus ridicules. De fait, dans un monde marqué par la politique du ventre, selon le politologue français Jean François Bayart, ou la gouvernementalité du manger, d’après Ka Mana, on sait que le ventre reçoit et le peu et le trop. De culture humaine, on dit que quand le ventre est plein, la tête est gaie. A contrario, on dit aussi que moins l’homme mange, plus son cœur s’emplit de lumière.

Eu égard à des perceptions aussi contrastantes que divergentes, la compréhension des textes de cette solennité demande des précisions, car par amour pour l’omelette, on lècherait la poêle. N’est-ce pas vrai que l’oiseau se fait prendre par les pattes et l’homme par la bouche ? C’est en ce sens que Epicure enseignait d’éviter les plaisirs qui sont suivis de douleurs. Les hédonistes ont d’ailleurs généralement prôné de la mesure et le défaut de tempérance et de prudence a toujours été perçu comme un manque de collaboration avec la raison. Il est toutefois une certitude, d’après Maître Pacéré T. Frédéric : « Ventre plein et Ventre vide ne sont pas des compagnons » ; mais « L’homme qui se connaît préserve la vie ».

Dans cette mesure, célébrer la Fête-Dieu, la fête du corps et du sang de Jésus, c’est s’ouvrir à la préservation de la vie. Mieux, c’est inévitablement contempler le Christ Sauveur, puisque la célébration eucharistique nous applique la vertu rédemptrice de sa mort. Encore faut-il acquérir, dans la foi, une intelligence correcte de ce repas, de cette mort-résurrection et comprendre pourquoi elle peut avoir tant de prix. Tel est l’un des objectifs de l’épitre aux Hébreux.

Pour saisir la signification singulière de cette réalité de foi, il est nécessaire, d’après les textes de cette liturgique, de l’enraciner dans une culture, une tradition, ou une histoire. D’après le professeur Joseph KIZERBO, chez tout groupe humain, en effet, la conscience de l’histoire et de la culture se pose comme base ou moteur de compréhension des réalités transhistoriques, car c’est elle qui intervient comme pont et flux vital, élément de cohérence, d’intégration. En ce sens, les trois textes de ce jour sont étroitement liés par des thèmes bibliques majeurs : alliance, sacrifice, sang et sacerdoce.

Les chapitres centraux du livre de l’Exode, dont nous lisons un extrait en première lecture, nous racontent comment Israël, libéré de l’esclavage d’Égypte, passe « de la servitude au service » et naît comme peuple de Dieu par la célébration de l’Alliance. Le service, c’est le culte rendu au Seigneur : culte liturgique et culte de la vie. Tant la liturgie que l’accomplissement de la Loi reçue sont expression et condition de la liberté. Israël, consacré par le sang de l’Alliance, consent à son identité comme peuple libéré, royal et sacerdotal.

Ce texte est très important aussi bien à cause des évènements qu’il relate que par l’influence qu’il a exercé sur les diverses expressions de la tradition de l’Alliance dont l’aboutissement est l’usage qu’en fait la lettre aux Hébreux, où le sang de Jésus est l’expression suprême de l’Alliance.  

Ici, l’Alliance est un acte cultuel et religieux, ce qui est moins affirmé dans d’autres textes. Comme tout culte, cette célébration comporte des sacrifices : holocauste et sacrifice sanglant pratiqués avaient un double but : une marque de respect et de soumission envers Dieu, création d’une étroite communion entre les consommateurs. Le rite d’aspersion du sang, consécutif au sacrifice, forme le centre du récit.  Ce rite ne se trouve attesté nulle part ailleurs dans l’Ancien Testament. L’alliance relatée comporte un rite et des paroles. Ce double aspect lui confère un caractère complet et dynamique. La parole associée au rite en donne l’interprétation qui convient à chaque nouvelle génération, et le rite donne vie à la parole.

Dans la deuxième lecture, il s’agit d’un autre acte cultuel : la mort-résurrection du Christ, comprise comme l’entrée du grand prêtre dans le sanctuaire pour offrir le sang du sacrifice d’expiation. Ici aussi du sang est versé. Ce n’est pas le sang d’un animal mais celui du Fils qui s’offre lui-même, scellant l’Alliance nouvelle. Son sacrifice nous ouvre l’accès au Sanctuaire, c’est-à-dire à la présence de Dieu, et nous rend aptes au culte sacerdotal des enfants de Dieu libérés du péché.

Pour l’auteur, c’est trop peu de dire que le Christ vient : il survient. Il survient comme grand prêtre, Médiateur de la communion de l’homme de l’homme avec Dieu.

Dans l’évangile, le repas pascal célébré par Jésus et ses disciples devient lui aussi un sacrifice et un acte cultuel fondateur. Dans l’action de grâce, le corps est partagé et le sang de l’Alliance est répandu. Selon la tradition biblique, le sang est le siège de la vie, de la nephesh ; là où il est répandu, il libère une force de vie qui remédie à une vie perdue, menacée ou coupable. Pardon, guérison, sanctification sont toujours liés au sang. Cette tradition a inspiré la signification de la mort sacrificielle du Christ. Tout ce que signifiaient les anciens sacrifices de communion et d’expiation, ainsi que la célébration de la Pâque, y trouve son achèvement et sa plénitude. Les paroles de Jésus « Ceci est mon corps […]. Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance », révèlent l’importance du Saint-Sacrement : il est nourriture et alliance de tout un peuple, action de grâce, mémorial de la mort-résurrection du Christ et espérance en son retour. Toute la tradition de l’Eglise, à la suite des pères et de saint Thomas d’Aquin, retient que le sacrement eucharistique est le plus saint des sacrements pour trois raisons essentielles :

  • 1ère : Les autres sacrements donnent une grâce venant du Christ, mais l’Eucharistie donne le Christ lui-même.
  • 2ème : Tous les autres sacrements peuvent être célébrés au cours d’une eucharistie
  • 3ème : Tous les autres sacrements sont ordonnés à l’Eucharistie comme à leur fin.

Mais alors, qu’en est la pratique aujourd’hui ? Tout bon observateur, même distrait, reconnaîtra que les fruits de sanctifications de nos assemblées eucharistiques, comme par le passé, requièrent une réelle conversion de cœur, d’esprit et de corps. Et plus que par le passé, les progrès tous azimuts que connaît la société contemporaine posent de réels défis à la communion eucharistique. D’aucuns quelque peu révoltés, comme ce slameur anonyme dont la production circule sur les réseaux sociaux, crient leur ras-le-bol.  Suivons plutôt !

[ Slam : Mr l’Abbé, je vous avais dit,

La Maison de Dieu n’est pas un bazar,

Encore moins un trottoir de racolage

Pour des démunis spirituels en manque de publicité !

 

La maison de Dieu !

N’est pas une parcelle d’exhibition

Où l’on entre aux allures de divagation !

Mes dames et messieurs les vicieux,

Le Royaume des cieux appartient aux révérencieux

A ceux qui viennent pour écouter la Bonne Nouvelle

Pas à ceux viennent pour goûter au fruit défendu !

Quand des invertébrés décérébrés

mal moulés se déambulent en funambules

comme des pendules en retard

parfois sans bretelles

entre les allées qui mènent à l’autel,

avouons que les évangiles auront du mal

à se fossiliser dans les cœurs des brebis.

Tant que ces beautés génétiquement modifiées

Se dépièceront de la tête aux pieds

Pour nous offrir leur corps de porcs

en plein partage du corps en or

du Christ Trésor,

Nos efforts !

Oui, nos efforts seront sans réconfort !

Comprenez ma colère…

Et tolérez que je sois sévère

Envers ces pervers sans repères !

Quand la consternation vous envahit

En pleine prosternation….

Quand la méditation côtoie la dépravation….

Quand nos privations et nos confessions

Sont souillées en pleine liturgie…

Comment peut-on se nourrir en âme et conscience

Des fruits de l’Eucharistie !

Et ces portables insolents qui bourdonnent

Sonnent et tonnent

pour se confondre au trémolo du Credo

et rivaliser de cliquetis avec les cloches de la Messe ….

Sans oublier ceux qui osent griffonner des SMS

En pleine Messe pour les envoyer séance tenante

A quelqu’un de plus cher que le Christ !

C’est triste ! ]

Eh oui ! C’est triste !

Mais pour ceux qui aspirent à renouveler chaque jour davantage leurs communions eucharistiques, en s’efforçant de cheminer sur les exigences voies de conversion, comment ne pas se souvenir, en cette solennité du Très saint Sacrement, de cette hymne de saint Thomas d’Aquin, dont les paroles sont d’une profondeur exaltante :

Chante, ma langue, le mystère de ce corps très glorieux

et de ce sang si précieux que le Roi des nations,

issu d'une noble lignée, versa pour le prix de ce monde.

 

La nuit de la dernière Cène, à table avec ses amis,

ayant pleinement observé la Pâque selon la loi, de ses propres mains,

il s'offrit en nourriture aux douze Apôtres.

 

Le Verbe fait chair, par son verbe, fait de sa chair le vrai pain ;

le sang du Christ devient boisson ;

nos sens étant limités, c'est la foi seule qui suffit pour affermir les cœurs sincères

 

Ce sacrement est admirable !

Vénérons-le humblement et qu'au précepte d'autrefois succède un rite nouveau.

Que la foi vienne suppléer à nos sens et à leurs limites.

 

Qu’il en soit ainsi, pour les siècles des siècles ! Amen.

                                                                               Abbé Matthieu SAMA

Publié dans Homélies dominicales

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