Dans toute l’histoire sainte, Dieu se présente comme le Dieu qui demeure avec son peuple et les signes de sa présence sont multiples.
Homélie du dimanche
Chers frères et sœurs !
Les textes bibliques de ce dimanche soulignent, dans leur ensemble, la nécessaire relation d’interdépendance qu’il doit y avoir entre Dieu et les hommes. Ainsi L’évangile de Saint Jean, à travers l’image de la vigne et des sarments, retient notre attention. Nous sommes dans une société caractérisée par des idées de liberté, d’autonomie et d’indépendance par rapport à toute personne, institution ou structure autoritaire, régulatrice et ordonnatrice extérieure. En un mot, on accepte difficilement les commandements ou les ordres. Comment relire cette volonté et cette mentalité à la lumière de cet appel pressant du Christ à rester dépendant de lui, greffé à lui à l’image de la vigne et des sarments ? « Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là porte beaucoup de fruits » (Jn 15, 5). C’est là un des paradoxes de la vie chrétienne : la liberté dans la dépendance. Au plan humain, tout attachement est une entrave à l’ouverture et à l’amour vrai. Mais au plan divin, l’attachement est une aide. Il est même une condition nécessaire si l’on prend au sérieux le principe de l’incarnation. Il est donc source de vie. Notre méditation connaîtra donc deux moments : d’une part, un regard sur la nature relationnelle de Dieu et, d’autre part, ses implications dans notre vie chrétienne.
L’idée d’un Dieu proche et lié à l’aventure humaine n’est pas une idée étrangère à notre expérience de foi. Dans toute l’histoire sainte, Dieu se présente comme le Dieu qui demeure avec son peuple et les signes de sa présence sont multiples. En effet, le Dieu de la Bible n’est pas seulement le Très Haut. Il est le tout proche (PS 119 ; 151). Il n’est pas un être suprême que sa perfection isolerait du monde, mais pas davantage une réalité qui se confondrait avec le monde. Il est le Dieu créateur présent à son œuvre (Sg 11,25 ; Rm 1,20), le Dieu Sauveur présent à son peuple (Ex 19, 4ss) à travers l’Arche de l’Alliance (Jos 3, 10). Dans la nouvelle Alliance, il est le Dieu présent à son Fils (Jn 8, 29) et à tous ceux que vivifie l’Esprit de son Fils et qui l’aiment filialement (Rm 8, 14.28). La présence relationnelle de Dieu pour être réelle, n’est cependant pas matérielle. Si elle se manifeste par des signes sensibles, elle demeure celle d’un être spirituel dont l’amour enveloppe sa créature et la vivifie. En témoigne l’événement bouleversant qu’a connu l’Apôtre Paul sur la route de Damas et que nous avons écouté en partie dans le livre des Actes des Apôtres. Dieu qui a créé l’homme veut lui être présent. Si par le péché, l’homme fuit cette présence, l’appel divin continue à le poursuivre à travers l’histoire : Adam, où es-tu ? (Gn 3, 8) Les prophètes ne cesseront de rappeler la mémoire collective du peuple d’Israël la nécessité de ne pas fermer leur cœur à la présence relationnelle de Dieu : « Revenez à moi de tout votre cœur… » (Cf. Jl 2, 12). Jésus Christ, le Verbe fait chair est la concrétisation de cette présence divine au milieu de son peuple.
Ce qu’Israël n’a pas pu donner à Dieu, Jésus le lui donne. Il est la vigne qui rend le cep authentique, digne de son nom. Il est l’Israël véritable. Il a été planté par son Père, entouré de soins et émondé afin de porter un fruit abondant (Jn 15, 1s ; Mt 15,13). Il porte en effet son fruit en donnant sa vie, en versant son sang, suprême preuve d’amour (Jn 15,9.13 ; Cf. 10, 10s.17) ; et le vin, fruit de la vigne, sera, dans le mystère eucharistique, le signe sacramentel de ce sang versé pour sceller l’Alliance nouvelle ; il sera le moyen de communier à l’amour de Jésus, de demeurer en lui (Jn 15, 4,9s). Il est la vigne, et nous les sarments, il est le corps, et nous les membres. La vigne véritable, c’est lui, mais c’est aussi son Eglise, dont les membres sont en communion avec lui. Sans cette communion, nous ne pouvons rien faire : seul Jésus, vrai cep, peut porter un fruit qui glorifie le vigneron, son Père. Sans la communion avec lui, nous sommes des sarments détachés du cep, privés de sève, stériles, bons pour le feu (Jn 15, 4ss). A cette communion, tous les hommes sont appelés par l’amour de Dieu et de nos frères. Par cette communion aissi, l’homme devient sarment de la vraie vigne. Vivifié par l’amour qui unit Jésus et son Père, il porte du fruit, ce qui glorifie le Père. Tel est, frères et sœurs, le mystère de la vraie Vigne, le mystère du Christ et de l’Eglise. Ainsi, si Israël, l’antique vigne infidèle à Dieu n’a pas porté de fruit, l’Eglise par contre, la vigne nouvelle et fidèle, portera des fruits en abondance car le Christ est sa sève nourricière. Quelles conclusions vitales dégagées pour notre vie chrétienne ?
La parabole de la vigne et des sarments illustre bien à propos la qualité de la relation qui doit exister entre Dieu et l’homme. Vivre évangéliquement, n’est-ce pas sans cesse savoir qu’on reçoit gratuitement et sans mérite aucun la grâce d’être enfant de Dieu, et que devant le Père rien n’a plus de prix que le geste de se mettre totalement et gratuitement entre ses mains ? Oui, il s’agit bien d’une attitude foncière et indépassable, et donc qui ne doit pas être supprimée ou abolie au profit d’une autre soi-disant plus vraie ou plus accomplie. Le chrétien reste fondamentalement pauvre devant Dieu, comme un serviteur inutile dont toute la joie est de se savoir appelé sans aucun titre ni privilège. Il nourrit sa relation par la prière confiante qui symbolise sa communion, son intimité avec Dieu. Accueillir l’Evangile, recevoir le Baptême, c’est être mis en communication avec la communion divine, entrer dans un jeu de relation interpersonnelle avec Dieu et les autres. « Que tous soient un, comme nous sommes un ! » (Jn 17, 22). L’unité que Jésus demande pour ses disciples est mise en rapport avec l’unité qui existe entre le Père et le Fils. Car c’est toujours la communion de Dieu qui fonde la communion des êtres humains. Ainsi, Dieu attend la communion de l’homme avec lui, prêt à consacrer notre action humaine et cet univers que nous avons à construire selon sa pensée. Pour le Pape François dans sa lettre encyclique, la joie de l’évangile, (je cite) : « Certains se croient libres lorsqu’ils marchent à l’écart du Seigneur, sans s’apercevoir qu’ils restent existentiellement orphelins, sans un abri, sans une demeure où revenir toujours. Ils cessent d’être pèlerins et se transforment en errants, qui tournent toujours autour d’eux-mêmes sans arriver nulle part » (fin). La relation à Dieu n’est pas seulement une exigence morale, elle est avant tout une condition de vie. Ainsi, dans la prière s’établit notre relation à sens vertical qui éclaire, par ricochet, la relation à sens horizontal où se manifestent la solidarité, la fraternité et l’amitié, indispensable à l’harmonie entre les hommes.
Vivre en chrétien, c’est non seulement échanger des biens et des paroles, c’est aussi donner sa vie. La vie chrétienne est une vie livrée. Celui qui se laisse prendre par l’évangile, est entraîné à mettre en jeu sa propre vie comme le Christ lui-même a donné sa vie et l’a reçue en retour glorieusement du Père. C’est le prix à payer pour l’amour vrai qui se passe des mots et des discours. La résurrection est aussi à comprendre dans les catégories de l’échange ; elle est vie rendue en surabondance. La seule manière de traverser la mort, c’est de donner sa vie comme on l’a reçue ; sans réserve, sans calcul et sans souci d’économie. Car la vie donnée est rendue multipliée dès maintenant et par-delà la mort. Dépenser sa vie gratuitement pour l’amour de l’autre, c’est la mort, mais c’est aussi la recevoir gratuitement en retour : « Celui qui perd sa vie la gagnera ». Dans le don de soi, la vie passe (Pâque) : « Si nous nous aimons les uns les autres, nous sommes passés de la mort à la vie… » (Cf. 1 Jn 3, 14). C’est cela, aimer en actes et en vérité telle que nous le recommande la deuxième lecture. La seule manière pour nous de témoigner de la présence de Dieu et de notre communion avec lui, c’est de prouver que nous sommes capables d’aimer nos frères. Il y a donc identité entre l’amour et le mystère pascal. C’est à cet échange interpersonnel vivifiant et gratuit que le Christ, mort et ressuscité, nous entraîne.
Cette relation d’échange qui fait vivre peut être nommée alliance : dans l’échange, on se reconnaît comme des partenaires, comme des alliés. Les rites de la vie sociale sont faits pour nous rappeler et réactiver l’alliance entre les hommes. Car, nous dépendons, qu’on le veuille ou non, d’un faisceau complexe de relations qui nous édifient et nous déterminent. A vouloir faire sa vie en dehors de la relation d’échange, on finit par la perdre. « Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là donne beaucoup de fruits, car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire » (Jn 15, 5). Jésus lui-même qui est présence de Dieu proclame qu’il est toujours en présence du Père : « Celui qui m’a envoyé est toujours avec moi. Il ne m’a pas laissé seul (Jn 7, 28). S’il en est ainsi, nous devons fuir toute attitude d’isolement.
Si la vie chrétienne est une vie fondamentalement ouverte à la relation avec Dieu, une première forme de refus de cette relation est l’isolement. Ici, l’autre m’est indifférent, il n’a rien à me dire, il ne me manque pas ! Mais lorsqu’on s’enferme de cette manière dans son quant-à-soi, la vie s’effrite et s’étiole rapidement. S’isoler, se soustraire à l’échange revient à adopter une attitude suicidaire. Il se peut aussi que l’isolement soit forcé ; on y est jeté à cause du fonctionnement social. Je n’ai personne à qui parler, personne qui m’écoute, personne qui puisse donner sens à mon existence. Dans ce cas, la vie vaut-elle encore la peine d’être vécue ? Cette question est posée avec acuité aujourd’hui par beaucoup. Dans notre entourage, nous avons certainement déjà perçu ces tendances suicidaires chez l’une ou l’autre personne jetée dans l’isolement. L’exemple de la tristesse et de la désolation des disciples d’Emmaüs qui s’isolaient de la communauté de Jérusalem nous est un cas palpable que l’isolement est synonyme de ténèbres et de mort. Il nous faut donc revenir à la présence du Christ ressuscité, présent dans nos cœurs et dans sa communauté en prière.
Frères et sœurs ! Etre greffé à la vigne véritable qu’est le Christ est donc une condition incontournable pour nous les sarments, de participer à l’échange de communion de vie de la Trinité Sainte. Le secret de l’amour pour Dieu et pour nos frères et sœurs réside dans cette dépendance nécessaire. L’Eucharistie est ce qui nous rend aujourd’hui participants de la nature même de Dieu car en elle, nous devenons nous aussi semblables à Dieu en vertu du Corps et du sang de Jésus qui irriguent tous nos membres. Elle manifeste parfaitement l’imbrication de nos relations qui font de l’Eglise de Dieu la communauté du salut.
Que les grâces de cette célébration raniment nos sarments à bout de sève et consolident davantage nos liens d’amour avec Dieu et avec nos frères et sœurs !
Amen !
Diacre Abbé Jean ZONGO